L’inscription de l’objet d’étude Croire, Savoir, Douter, au programme de Littératures, Langues et Cultures de l’Antiquité en 2018 n’était ni ponctuelle, ni anodine.

Elle était portée par l’idée qu’il importe de se défier de toute affirmation absolue de la vérité, les divers totalitarismes nous l’ont tristement appris. Jean Rostand, le grand biologiste, aimait à dire :

« la vérité que je révère c’est la modeste vérité de la science, la vérité relative, fragmentaire, provisoire, toujours sujette à retouche, à correction, à repentir, la vérité à notre échelle; car tout au contraire je hais la vérité absolue, la vérité totale et définitive, la vérité avec un grand V, qui est la base de tous les sectarismes, de tous les fanatismes et de tous les crimes » 1.

Cette mise au programme était aussi portée par la conviction qu’un enseignant, selon l’expression forte de Dominique Borne, « doit pratiquer l’absolu de la recherche de la vérité » 2. Car si l’école de la république reconnaît l’existence des croyances religieuses et les respecte, il est tout aussi essentiel que les élèves comprennent qu’affirmer sa croyance en la pensant légitime et rechercher la vérité ne relèvent pas de la même démarche : elles appartiennent à des registres différents. La recherche de la vérité est une approche à la fois épistémologique et éthique : elle est nécessairement liée à la liberté d’expression et à la pensée humaniste. La laïcité à l’école repose de fait sur le principe fondamental d’une expression libre et critique. C’est ce qu’a rappelé à sa manière et avec justesse le juge qui débouta en 1981 aux États-Unis, à Little Rock dans l’Arkansas, les tenants du créationnisme qui voulaient voir reconnaître leur croyance comme une théorie scientifique digne d’être enseignée au même titre que la théorie de l’évolution. Le juge dans sa décision affirma que le créationnisme ne répondait pas aux critères d’une hypothèse scientifique ainsi définie :

  • elle doit être guidée par les lois de la nature,
  • elle doit être explicative,
  • elle doit pouvoir être testée,
  • elle ne peut dans ses conclusions avoir le dernier mot et se dire définitive,
  • elle doit être susceptible d’être remise en cause par de nouvelles théories et de nouvelles expériences.

À l’École de la République qui a été de nouveau attaquée le 13 octobre 2023, la recherche libre et critique se déploie donc avec un esprit humaniste et laïque : elle ne doit pas craindre de faire la chasse aux mensonges des uns tout en mettant en évidence les faux-semblants des autres. Elle doit permettre d’expliquer aux élèves qu’adhérer à une croyance et poursuivre la vérité sont deux engagements compatibles du sujet de pensée, mais que la seconde démarche – rechercher la vérité – ne doit jamais être sacrifiée sur l’autel d’un dogme religieux quel qu’il soit. Ces deux registres sont radicalement distincts et impénétrables. C’est pourquoi sommer l’élève de choisir ne pourrait aboutir qu’à une injonction douloureuse et contradictoire, qui risquerait de déboucher sur un malaise psychologique ou une radicalisation de la pensée. Ce n’est pas une voie de libération de la faculté de juger, ni le sens de la laïcité, qui est d’abord une ouverture libre et critique de l’esprit. Apprendre à concilier des dimensions différentes de l’identité et de la personnalité, dans la construction du sujet, et la souplesse qui permet d’organiser en soi la complexité des idées, tel est l’enjeu de la formation d’un esprit humaniste, libre et apte à s’enrichir du réel. Mais, surtout, cet apprentissage passe nécessairement par une réflexion approfondie sur la distinction entre différentes formes d’adhésion, de jugement et de construction intellectuelle : savoir, idéologie, croyance, opinion, vérité. Si ces distinctions ne sont pas opérées à l’école, l’obscurantisme, nourri de la peur et de l’ignorance, qui a frappé au cours de l’histoire et assassiné nos collègues, Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine puis Dominique Bernard à Arras, et blessé trois autres membres de la communauté éducative, continuera de se répandre.   

C’est pourquoi nous avons choisi pour cette séquence consacrée ici à la liberté d’expression dans l’enseignement et la recherche, de revenir sur le destin de la professeure et savante Hypatia, assassinée par des fanatiques à Alexandrie, au début du Ve siècle de notre ère. Comme un écho, par delà les siècles, à la mort tragique de notre collègue Samuel Paty, à qui il nous a paru impératif de rendre cet hommage.

Aujourd’hui, cette femme professeur – la première à qui on accorda le titre de « philosophe » au féminin – est l’un des symboles de l’esprit humaniste face à l’obscurantisme, l’un des « témoins » – c’est le sens même du mot « martyr » – de la force émancipatrice de la pensée contre l’oppression du fanatisme. Hypatia demeure à nos yeux la figure de l’enseignante passionnée par le désir de transmettre, mais aussi consciente que la remise en question et le doute sont indispensables aux progrès de la connaissance et de l’humanité. 

L’image de cette savante enseignante renvoie ici à l’engagement des professeurs et chercheurs qui ont connu hier les persécutions des totalitarismes nazi et stalinien, mais aussi à la résistance de ceux qui sont aujourd’hui exposés aux pressions de toutes sortes, dans les pays où la liberté de la recherche et le doute méthodologique inhérent à la science heurtent les dogmes de la croyance.

Nos remerciements particulièrement vifs vont à Michèle Leduc et à Étienne Klein, tous deux professeurs et physiciens à la renommée internationale, ainsi qu’à Agnès Spiquel, à Françoise Kleltz-Drapeau et à François Chapuis respectivement littéraire, philosophe, et médecin. Ils ont bien voulu témoigner ici de cette liberté d’expression trop souvent menacée, afin de permettre à partir du destin d’Hypatia, d’organiser un débat sous la forme d’une confrontation culturelle sur le sort fait parfois aux chercheurs et professeurs d’hier et d’aujourd’hui. Un débat qui conduit, sans réduire les écarts historiques, à développer chez les élèves une conscience humaniste ouverte aux variables culturelles. La réflexion menée au cours de l’étude des textes concernant la figure d’Hypatia, pourra se poursuivre  à partir des textes de Michèle Leduc et d’Étienne Klein, de l’avis du comité d’éthique du CNRS sur la liberté et la responsabilité du chercheur ainsi que du texte sur Camus. Ce texte montre fortement comment dans la lignée d’Hypatia, et luttant contre le fanatisme et l’ignorance, Camus dans l’esprit de ce qu’il appela « la pensée de Midi » chercha ce qui peut rassembler les Hommes, ce qui fait appel en eux à ce qui est le plus humain : « la beauté, le camp où il rejoint les Grecs ». 

Le comité éditorial d’Odysseum

Confronter les mondes antique et contemporain grâce aux articles du dossier

  • Au collège 

Le programme de l’enseignement de complément LCA au cycle 4 précise que « les thèmes concernant la vie privée et la vie publique se prêtent particulièrement à des mises en relation avec le programme de l’enseignement moral et civique« . Les entrées thématiques contribuent au croisement « avec l’ensemble des disciplines qu’elles relèvent des humanités littéraires comme des sciences. » Notre dossier sur La liberté d’expression : Hypatia, Einstein, Gamow, Camus s’inscrit dans cette démarche pédagogique. 

  • Au lycée 

Comme nous y invite le préambule général des programmes de LCA, »fondés sur la confrontation entre mondes anciens et monde moderne« ,les professeurs et leurs classes peuvent proposer une étude en miroir de la figure d’Hypatia face à celles de chercheurs et scientifiques contemporains. « Soucieux de donner des repères intellectuels qui vont au-delà du contexte immédiat de leur environnement, [ils] visent à présenter la littérature et la culture antiques, d’une part, médiévales, modernes et contemporaines, d’autre part, comme des horizons réciproques afin de permettre aux élèves d’aujourd’hui de mieux se comprendre et de mieux se situer dans le monde. »

Pour en savoir plus : site Odysseum

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