Le programme d’enseignement de spécialité de cinéma-audiovisuel en classe terminale institue un programme limitatif de trois œuvres cinématographiques et audiovisuelles, publié tous les ans au Bulletin officiel de l’éducation nationale. Il est renouvelé annuellement par tiers. Au cours de l’année de terminale, chaque œuvre est abordée et analysée dans la perspective d’un ou plusieurs questionnement(s) précisé(s) par le Bulletin officiel de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Chaque œuvre permet donc d’actualiser concrètement l’étude d’un ou plusieurs questionnement(s) au programme de l’enseignement de spécialité cinéma-audiovisuel de terminale.

Pour l’année scolaire 2025-2026, les œuvres cinématographiques retenues sont les suivantes:

La Féline de Jacques Tourneur, 1942 (œuvre renouvelée)

Jacques Tourneur, né à Paris en 1904, a été pendant dix ans, aux États-Unis et en Europe, l’assistant et le monteur du réalisateur Maurice Tourneur, dont il est le fils. Entre 1931 et 1934, il réalise en France six comédies : Tout ça ne vaut pas l’amour, Un vieux garçon, La fusée, Toto, Pour être aimé, Les filles de la concierge. Devenu citoyen américain en 1919, il finit par s’expatrier aux États-Unis en 1934 où il vivra jusqu’en 1966. Il commence alors sa carrière américaine à Hollywood par une série de courts-métrages et signe, en 1939, son premier long, They All Come Out.

Par l’intermédiaire du producteur et scénariste Val Lewton, la RKO Pictures, qui entend relancer le film d’horreur dont l’âge d’or avait débuté dans les années 30 avec Dracula de Tod Browning (1931), Frankenstein de James Whale (id.) ou encore La Momie de Karl Freund (1932), trouve en Jacques Tourneur un réalisateur à même de renouveler le genre. Dans Cat People (La Féline,1942), que viendront compléter I Walked With a Zombie (Vaudou, 1943), The Leopard Man (L’homme léopard, 1943) et, quinze ans plus tard, Curse of the Demon (Rendez-vous avec la peur, 1957), film américano-britannique, il emprunte à l’expressionnisme allemand ses codes visuels – son directeur de la photographie, Nicholas Musuraca, est considéré comme celui qui a fait renaitre ce style aux États-Unis dans les années 40.

On étudiera ce film dans le cadre des questionnements suivants :

  • Transferts et circulations culturels ;
  • Un cinéaste au travail.

Dans ce chef-d’œuvre de la série, film devenu culte et iconique, Tourneur joue de façon omniprésente avec les ombres afin de souligner la présence du danger. Inversant les codes de la représentation, selon lesquels la lumière s’impose contre l’ombre, Cat People engage le spectateur dans une expérience sensorielle et existentielle inédite : c’est tout le régime du visible, du réel, qui est redéfini en s’offrant comme un épaississement de l’ombre, de l’invisible, dans un continuum que Cat People a pour projet d’installer. De manière à faire naître progressivement l’inquiétude et l’angoisse, le film développe ainsi une écriture subtile, tout en suggestion, qui ne montre jamais l’objet de la terreur mais la manifeste partout et nulle part. Ainsi active-t-il la croyance, sans la faire jamais voir, en la capacité d’Irena à se métamorphoser en bête féroce, et interroge par là-même notre propre crédulité dans le pouvoir des fables et des fictions. Pour ce faire, il distille au fil de l’eau des indices visuels et sonores – certains d’une grande discrétion – qu’il conviendra, au sein de lectures rétrospectives, de questionner avec les élèves : l’image de la créature démoniaque (« the evil creature » (20’28) tournant dans sa cage, sur laquelle s’ouvre le film et qui le ponctue régulièrement au point de constituer un véritable fil rouge ; le chaton au poil hérissé manifestant son rejet ainsi que le charivari des oiseaux dans l’animalerie (« [the cats] seem to know who’s not right, if you know what I mean » (12’28), commente la vendeuse) ; la femme-chat de la scène du mariage ; la panthère dessinée sur le paravent de l’atelier de l’héroïne tout comme la patte de lion de sa baignoire ; la scène centrale et emblématique de la piscine ; celle de la poursuite nocturne entre les deux femmes s’achevant sur les empreintes de pattes de bête et le troupeau de moutons dévastés, etc.

En important dans le champ de l’image des références et des motifs issus de cinématographies européennes qu’il réadapte et brouille, en déstabilisant avec un savoir-faire suggestif inédit l’ordre du « réel », que fait exactement Tourneur au fantastique ? Certes, comme pour la littérature du même genre, il fait mine de l’ancrer dans un cadre contemporain et réaliste. Le film débute par une scène de première rencontre traditionnelle qu’accompagne une musique de romance au moment de se donner un prochain rendez-vous (8’23). Dans une construction en point contrepoint, chaque moment susceptible de susciter l’inquiétude trouve son apaisement dans un élément rassurant. Pour exemple, si la bande son au moment où Irena met la clé dans la porte semble indiquer que quelque chose d’insolite se passe, ce que viennent souligner la question et la remarque d’Oliver : « What’s the matter ? You looked at me in such a funny way. » (4’05), Irena, avec calme, sait immédiatement tranquilliser son compagnon : « I have never had anyone here. You’re the first friend I met in America » (4’16), ce qui permet à la romance de reprendre son cours. Et par ailleurs, trois ans avant Spellbound (La maison du Docteur Edwardes, 1945) d’Alfred Hitchcock, Tourneur place son film sous l’égide de la psychanalyse (cf. le cartel d’ouverture contenant la citation du Dr Louis Judd), capable d’apporter des explications rationnelles au mal dont souffre la protagoniste, d’offrir la « clé » du mystère. Pour autant, son geste créatif porte plus loin que ses contemporains et son époque. En faisant des apparences le régime effectif de l’être et de l’essence, c’est déjà vers des cinématographies postmodernes qu’il tire ses flèches : peut-être n’existe-t-il rien d’autre que des artéfacts ? Toute une génération de cinéastes de la peur, de Brian De Palma à Kiyoshi Kurosawa, saura s’en souvenir.

Pour les sessions 2026 et 2027, l’Irma Vep d’Olivier Assayas et La Féline de Jacques Tourneur seront tous deux inscrits au programme limitatif du baccalauréat. Les occasions de les mettre en écho de façon signifiante existent : autour des personnages de la Black Cat et de la vampire en tunique noire à la silhouette féline ou encore au sujet des écritures cinématographiques déterminées par l’invisible, le caché, l’inconscient : « le cinéma n’est pas la transparence, explique Assayas, cette transparence qui est celle du “on doit tout le temps tout comprendre”. Moi je pense qu’on doit tout le temps ne rien comprendre » (interview d’Olivier Assayas par Marc Cerisuelo, « S’adapter à la culture américaine »).

High School de Frederick Wiseman, 1968

1968. La France connaît l’un des mouvements sociaux les plus importants de son histoire, durant lequel éclate la révolte des étudiants qu’accompagnent manifestations d’ampleur et grève générale. Aux États-Unis, alors que le pays est massivement engagé dans la guerre du Vietnam, on prend conscience, à la suite de l’offensive du Tết, de la force militaire du Viêt-cong, qui parvient à occuper pendant plus d’un mois les faubourgs de Saïgon et la citadelle de Hué, tuant quelque trois mille personnes liées à la république du Vietnam. Les mouvements d’opposition, notamment estudiantins, sont de plus en plus massifs : des campus sont occupés, dont celui de Colombia en avril, et de fréquents affrontements opposent les jeunes et les forces de police, comme à Chicago à la fin du mois d’aout. Au cœur de cette tourmente, le Civil Rights Movement se poursuit, et l’année 68 est marquée par l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril. C’est au cœur d’une vague d’émeutes que le président Johnson promulgue, le 11, le nouveau Civil Rights Act. Deux mois auparavant, en février, la NASA présente les cinq sites d’atterrissage potentiels sur la lune, quand, le 21 janvier, Simon and Garfunkel sortent l’album The Graduate, qui contient le célèbre « Mrs Robinson » et s’empare, en avril, de la première place du Billboard 200.

Tous ces évènements traversent High School, le deuxième film documentaire de Frederick Wiseman, mais à bas bruit, soit subrepticement comme par flash (« Le Club du Spectateur va discuter de l’assassinat de Martin Luther King », 58’07-58’13 ; la présence soudaine d’un policier dans un couloir de l’établissement, 58’14-58’22), soit dans des séquences qui y renvoient plus ou moins directement (« Qui serait membre d’un club où il y aurait une minorité de noirs […] et d’un club dont la moitié des membres serait noire, l’autre blanche ? […] Combien refuseraient ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse », 52’32-53’14 ; la séquence consacrée au projet Sparc, 1’05’44-1’08’56 ; la séquence finale consacrée à la lecture publique de la lettre de Bob Walters, ancien élève du lycée, qui s’engage au Vietnam, 1’10’19-1’14’12). De fait, Northeast, lycée d’enseignement secondaire public de Philadelphie en Pennsylvanie, que le cinéaste filme pendant cinq semaines entre mars et avril 1968, ne semble pas vibrer des révoltes qui grondent à l’extérieur (« Le lycée Northeast est un endroit si cloitré, si retiré. », 53’47). Sans voix off ni musique, sans aucun accompagnement – à la manière d’un Charles Reznikoff, ce poète objectiviste américain qui accueille dans sa poésie, matériaux bruts, les témoignages entendus lors de procès sans ajouter un mot qui lui soit propre –, le film, qui va fonder le cinéma vérité, avec une méthode reprise par Richard Leacock en Angleterre et Raymond Depardon en France, est comme dédramatisé et neutre.

Néanmoins, cette neutralité, cette objectivité d’un réalisateur qu’on a le sentiment de ne pas sentir n’est qu’apparence. C’est pourquoi, afin d’en cerner la construction et l’expression d’une part, et la réception d’autre part, on étudiera plus particulièrement High School dans la perspective des questionnements suivants : « Un cinéaste au travail » et « Réceptions et publics ». Attention, une modification a été apportée au questionnement proposé dans le programme limitatif précédent où celui-ci apparaissait au singulier : « Réception et public ».

Pour ce faire, on étudiera le découpage des séquences et le montage, qui, jouant par capillarité, sont la plupart du temps porteur de sens. On pourra, par exemple, mettre en évidence l’opposition entre l’apparence et la réalité que révèle le passage de la séquence chorale (53’15-53’44), où les élèves répètent studieusement sous la baguette de leur professeur, à celle qui montre un étudiant, aux lunettes noires tel John Lennon, exprimant, devant ses camarades et son enseignante, sa colère au sujet de ce lycée-cloître, de ce « lycée qui pue » (54’24). Par ailleurs, on interrogera les effets et les symboliques des gros plans, constants dans le film, sur des parties du corps – les oserait-on toutes aujourd’hui ? –, sur des visages, de face ou de profil, sur des bouches qui parlent (1’29), qui chantent (53’37), sur des yeux et des regards, que parfois dérobent voire déforment des lunettes d’un autre âge (41’29) ou qui révèlent des pensées en train de se faire (36’54), des imaginaires en fuite (37’03), sur des gestes d’apprentissage (18’57-19’07), mais aussi sur de multiples objets personnels et quotidiens.

On réfléchira enfin au choix du (presque) huis-clos. En effet, le lycée apparait à l’écran davantage comme une sorte de citadelle, entourée de ses remparts grillagés, le travelling horizontal de la séquence d’ouverture (00’38) plantant le décor, avec ses longs couloirs à l’allure de couloirs de prison, souvent vides (37’30), dans lesquels une figure d’autorité est susceptible de demander aux étudiants s’ils ont un « laissez-passer » (13’09-14’38). Un lycée « moralement et socialement, poubelle » (56’49), dans lequel on enseigne le fait que « le monde vous reconnaît selon vos résultats » (8’40), que « tenue de soirée » signifie robe longue ou smoking (29’04-32’19), que « si un couple vit ensemble, la société considère qu’ils sont mariés, et c’est ainsi formidable : la société sait prendre soin d’unions régulières, responsables et stables » (26’56), que « plus un garçon ou une fille a de rapports avant le mariage, moins ils feront de bons partenaires de mariage » (59’24). Un lycée dans lequel, en présence de la mère dont le gros plan sur le regard semble trahir les pensées (45’08), une probable conseillère d’orientation pose au seul père « la question cruciale : “de quel budget disposez-vous pour les études de votre fille ?” » (45’01).

Au fil du propos du film, sans éclat ni coup de force, ce sont bien les stéréotypes de classes, de genres, de pouvoir, qui sont démontés et révélés, et notamment ceux que véhiculent le modèle éducatif à l’œuvre. « En matière d’éducation, de ses relations avec le monde d’aujourd’hui, ce lycée est pitoyable, c’est un vrai cloître. Il est complètement coupé de ce qui se passe dans le monde. Il faut changer ça. C’est notre but ici. Et non pas de parler cinéma. » (54’33-54’46). Et la fin du film de venir confirmer cette hypothèse : à la suite de l’expression publique de satisfaction d’un membre de la direction (ou d’une professeure) devant l’engagement d’un ancien élève au Vietnam (« Le fait de recevoir une telle lettre me fait penser que nous avons réussi notre travail, ici, au lycée Northeast », 1’14’00-1’14’10), le cinéaste coupe avant toute éventuelle réplique de la part des lycéens que, par ailleurs, tout à fait exceptionnellement, il choisit de ne pas montrer. Leur réponse est comme volée par l’adulte (« Je pense que vous en conviendrez », 1’14’11), mais le découpage de la séquence ouvre à des horizons de grogne possibles. Y a-t-il pour autant un jugement de la part de Wiseman ? Sans doute pas au sens où il chercherait à nous imposer son point de vue. La discrétion de celui-ci, même dans l’efficace des visibilités restaurées, vise sans doute surtout à éveiller notre faculté de juger et à nous laisser maîtres du final cut moral.

On s’en doute, au moment de sa sortie, le film a été fort mal perçu par le personnel de l’établissement qui menaça Frederick Wiseman de poursuites judiciaires. Il ne sera pas projeté à Philadelphie. Pourtant, c’est une méthode qui s’invente ici et se perfectionne : des cinéastes héritiers qui la déclineront (et même à notre époque, notamment avec Claire Simon) jusqu’aux sociologues qui se l’approprieront, la réception de High-school est vivante et complexe.

Irma Vep d’Olivier Assayas, mini-série, épisodes 1, 2 et 3, 2022

Olivier Assayas n’en est pas à sa première incursion dans la série lorsqu’il se lance pour HBO dans le projet Irma Vep, mini-série de 8 épisodes. Entre le « grand film intimiste » qu’est L’Heure d’été (selon la belle formule de Jacques Mandelbaum) et Après mai, portrait de la jeunesse des années 70, il livra, à la surprise générale, le biopic Carlos qui retrace la vie du terroriste international Ilich Ramirez Sànchez. Qualifié de « film », le projet est proposé en deux versions : l’une de 5 h 30 présentée à Cannes et diffusée en trois épisodes sur Canal+, l’autre de 2 h 45 qui sortit en salles. L’auteur avait déjà esquissé un semblable jeu de variations avec le téléfilm La Page blanche (réalisé pour Arte) et sa réécriture au format « cinéma » sous le titre L’Eau froide. Intégrant pleinement l’incidence des supports et des circuits de diffusion sur ses choix de réalisateur, Assayas cherchait très consciemment dès ces premiers essais à en éprouver l’effet sur le spectateur. Aussi, lorsque René, le réalisateur de la série en abîme « Irma Vep » dont on suit la douloureuse genèse au fil des épisodes de la série du même nom, rencontre un médecin chargé par les assurances d’évaluer sa santé et sa capacité à achever le projet, tout va bien jusqu’au moment où l’on sort du registre strictement médicalpour entrer dans celui de l’esthétique. Une controverse se déclenche en effet sur la nature de la production : « feuilleton » pour le médecin, « film » et rien que « film » – certes au travers d’une durée plus longue – pour René qui se fait ici l’écho, sinon de l’inquiétude d’Assayas, du moins de ses ambitions et doutes. Qu’est-ce donc qui qualifie ou disqualifie la valeur d’une création ? La pureté de son intention ? Son circuit de diffusion ou son format ? Les choix et gestes de son auteur ? Sa réception, immédiate ou ultérieure ? Et par quel public ? À quel prix les images sortent-elle du régime du flux pour entrer dans celui de l’Art ? Cela relève-t-il d’une qualité intrinsèque ou extrinsèque ? Questions essentielles qui sont celles qu’affronte actuellement le secteur cinématographique, plus que jamais superposé et assujetti à celui de l’audiovisuel, et qu’Irma Vep ne cesse de réfléchir avec drôlerie, grâce, fantaisie, et lucidité.

L’on suit ainsi autant la création d’une aventure (remake du fameux serial de Louis Feuillade) que les aventures d’une création. Une multitude d’intrigues et de péripéties s’entrecroisent, se ramifient et se correspondent sur la trame du tournage d’un « film » donc : un réalisateur aliéné jette les derniers crédits qu’il lui reste dans une tentative folle de réécriture d’un vieux classique du muet pour tenter de réanimer la flamme et les mannes du cinéma des origines ; une jeune star américaine, la bien nommée Mira (à la fois « merveilleuse » et « regard »), habituée aux grosses productions hollywoodiennes, cherche en Europe une parenthèse enchantée, afin de redonner du sens à sa carrière et à sa vie ; un vieux mécène, pas si philanthrope que cela, finance le projet pourvu que sa star devienne l’égérie de sa prochaine campagne de parfum ; un acteur allemand junkie ne peut tourner que si on lui trouve son carburant quotidien ; un jeune premier fait des histoires de tout, pour se donner de l’importance, et par-dessus tout, un maître-réalisateur orchestre ce ballet incessant de désirs pour tromper ses angoisses de création (René comme double distancié d’Olivier) et rappeler à lui le souvenir de ses amours défuntes.

Si le postulat peut rappeler celui de La nuit américaine de Truffaut, la richesse, la variété de ton, la liberté grande que permet le format sériel donne à Irma Vep l’ampleur d’une quête symbolique et cathartique : de petites en grandes histoires, de tribulations dérisoires en caprices de stars, d’amourettes en grandes histoires d’amour, d’approximations en cristallisations, de regrets en deuils accomplis, c’est moins la force réparatrice du cinéma sur la vie qui est interrogée, que la manière dont le cinéma peut faire œuvre par-delà le chaos. Au travers d’une multitude de ratés ou de hasards, de grands aléas ou de victoires dérisoires, la grande magie invocatoire des images opèrera, malgré tout, malgré nous, s’il nous est donné d’y croire jusqu’au bout.

S’il est recommandé que les élèves découvrent l’intégralité de la série, le programme se limite à l’étude des trois premiers épisodes qui forment – autour du personnage de Mira, de son arrivée à Paris et de ses premiers contacts professionnels et personnels avec le milieu parisien – un arc narratif complet qui lance cependant l’ensemble des pistes de l’œuvre.

On étudiera plus particulièrement les épisodes 1, 2 et 3 d’Irma Vep dans la perspective des questionnements suivants :

  • Un cinéaste au travail

Jouant avec le « décalage » de Mira (horaire, personnel, culturel et professionnel), Olivier Assayas tire profit de son regard candide (une Roxane en Pays de Cocagne de « Libre cinéma ») pour interroger à neuf les conditions de création d’une fiction en 2022. Ce faisant, Irma Vep peut être autant étudié comme un documentaire en miroir sur son propre tournage que comme un état des lieux du cinéma et du désir, autant comme un carnet de création drolatique et distancié que comme un traité de « Conseils à un jeune cinéaste » (dont les élèves feront leur miel), autant comme une déclaration d’amour que comme un pamphlet, autant comme une autoréflexion sur toute son œuvre par le cinéaste que comme une réactivation occulte de sa force et mémoire. Aussi le dialogue permanent et subtil que ménage Irma Vep la mini-série avec Irma Vep (le film de 1996) constitue-t-il le point de mire et d’incandescence de tout le dispositif. Par quoi un artiste est-il hanté lorsqu’il crée ? Et nous, qui visionnons son œuvre, quelles images-fantômes viennent nous assaillir ?   

  • Art et industrie

Et dans tout cela, s’agit-il « par ailleurs d’une industrie » pour paraphraser une célèbre formule ? Certainement. À travers les vicissitudes de la production et notamment le personnage interprété par Pascal Grégory – alter ego de Bernard Arnault ou François Pinault –, la série ne cesse de s’en amuser et de surenchérir au centuple sur Malraux : le cinéma est lié si inextricablement aux circuits industriels qu’il n’y compte même plus que comme un faire-valoir de la « vraie » industrie, comme une pré-bande annonce pour un spot publicitaire de parfum de luxe. Et pourtant, dans cette niche, quelque chose peut advenir, quelque chose de si universel, de si inaliénable, de si transcendant, que tous les capitaines d’industrie s’y précipitent presque involontairement pour renouer avec la fonction sociale traditionnelle du mécène : mettre en rapport via l’art la faux du présent avec un parfum d’éternité – qui n’a pas de prix.

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